“Genre et citoyenneté”

VIII° Rencontre européenne d’analyse des sociétés politiques (Paris, 5-6 février 2015)

FASOPO Fonds d’analyse des sociétés politiques

Longtemps cantonné à la thématique de la place des femmes dans le développement, le rapport des genres à celui-ci se présente aujourd’hui sous un jour plus complexe, à la lumière de nouvelles recherches, mais aussi à celle de l’actualité internationale. C’est bel et bien la question de la capacité civique et économique qui est désormais posée, celle de la subalternité sociale, et non seulement celle du développement entendu de manière abstraite. En outre, la problématique ne se limite plus aux seules femmes et implique la recomposition des catégories du genre, ainsi que les possibilités d’accès des jeunes hommes à la sexualité et au statut matrimonial.

Dans la plupart des sociétés, la définition de la citoyenneté s’énonce dans les termes, plus ou moins censitaires, du genre, la règle générale reléguant les femmes, en même temps que les jeunes, dans une condition subalterne, y compris dans les sociétés dites développées. En France, par exemple, la IIIe République, volontiers présentée comme un modèle, n’a pas reconnu le droit de vote aux femmes, et en ce début de nouveau millénaire la parité entre celles-ci et les hommes est loin d’être acquise dans le fonctionnement concret du système politique. En Asie, où des dynasties familiales ont pu conférer le pouvoir suprême à des femmes – comme en Inde, au Pakistan, aux Philippines – le genre féminin n’en continue pas moins de subir des discriminations civiques de droit ou de fait. Dans les pays du Moyen- Orient et du Maghreb, la participation au pouvoir du « deuxième sexe » fait polémique sous le couvert facile de l’islam, même si la trajectoire de la République islamique d’Iran démontre paradoxalement que la religion du Prophète n’exclut pas nécessairement l’affirmation sociale des femmes dans un contexte révolutionnaire et postrévolutionnaire. En Afrique subsaharienne, ces dernières demeurent largement les cadettes sociales qu’elles étaient dans les sociétés anciennes, lignagères ou méta-lignagères, et les nouvelles formes de délibération civique que sont les « parlements des rues », les « agoras », les « grins » – par exemple en Côte d’Ivoire, au Mali, en Ouganda –, ou les nouveaux vecteurs culturels d’expression politique, tels que le rap, persistent à les exclure. Sur tous les continents, la banalité du viol de masse dans les situations de conflit, voire dans la vie quotidienne comme en Afrique du Sud, interroge également.

Simultanément, l’exercice contemporain de la citoyenneté, dans le contexte de la globalisation et de la démocratisation ou de la libéralisation des régimes autoritaires, reconfigure la définition des genres eux-mêmes. L’émergence et la politisation de la question des LGBT en Afrique, en Amérique latine, dans les pays du Moyen-Orient, mais aussi en Russie et dans les sociétés occidentales développées, donnent lieu à de nouvelles mobilisations, encore que ces dernières s’inscrivent souvent dans des trajectoires historiques de plus ou moins longue durée, qu’illustrent par exemple la crise de la clitoridectomie au Kenya, dans les années 1930, le fondamentalisme moral de certaines missions protestantes dans différents pays d’Afrique depuis le XIXe siècle, ou la relation implicite entre sorcellerie et homosexualité au sud du Sahara. Elles nourrissent des stratégies de restauration autoritaire, comme au Zimbabwe, au Cameroun, ou encore en Russie et en Géorgie, qui s’appuient sur des transformations morales et religieuses de grande envergure, de nature à légitimer l’adoption de lois criminalisant certaines pratiques sexuelles, non sans susciter de vifs débats et de vigoureuses oppositions au sein des sociétés concernées. Ces conflits politiques ou socio-culturels révèlent des coalitions internationales, « progressistes » ou « conservatrices » : ainsi du front commun entre la Première Dame ougandaise, les soutiens du président Museveni, l’administration Bush et les milieux charismatiques étatsuniens du Deep South pour dénoncer et criminaliser l’homosexualité. In fine, la cristallisation et le passage au politique de la question LGBT contribuent maintenant à la configuration des relations internationales, un culturalisme de genre s’opposant sur un mode nationaliste, voire anti-impérialiste, aux ingérences occidentales et aux conditionnalités sexuelles.

Le rapport du genre et de la sexualité à la citoyenneté, tant politique qu’économique, fournit de la sorte un angle d’analyse particulièrement utile et novateur pour mieux comprendre les rapports sociaux constitutifs de la cité (et du « développement »), à l’aune de l’historicité propre des sociétés considérées, au-delà des effets de globalisation les plus immédiats.

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